Harcèlement et obligation de résultat

vendredi, 17 juillet 2015

Harcèlement et obligation de résultat :

L’employeur est responsable quand bien même il aurait pris les mesures pour faire cesser le harcèlement

 

Depuis les arrêts dits « Amiante » de 2002, la Cour de cassation impose aux employeurs une obligation de sécurité de résultat à l’égard de leurs salariés.

Cette obligation trouve un support légal dans les articles L 4121-1 (obligation de sécurité) et L 4121-2 (obligation de prévention) du Code du travail.

Cette lourde obligation, qui a donné lieu à de nombreux commentaires, a parfois été critiquée pour l’automatisme de la sanction qu’elle semblait induire à l’égard des entreprises.

 

 

Ces dernières années, la notion d’obligation de sécurité de résultat a été appliquée au harcèlement qui est défini de la manière suivante par le Code du travail (article L 1152-1) :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

 

Immédiatement, le juriste détecte que cette interdiction ne tient pas compte de la volonté ou des actes positifs de l’employeur (« pour objet ou pour effet »), ce qui peut être jugé sévère, ni de l’atteinte effective à la santé du salarié (« susceptible ») ce qui cette fois apparaît logique voire normal.

Les seuls critères objectivant un comportement de harcèlement sont donc les « agissements répétés » et la « dégradation de ses conditions de travail » (c’est donc là que réside l’enjeu du plaideur), puisque pour le reste l’interdiction est principalement tournée vers la santé mentale de la victime et donc vers une certaine part de subjectivité, de ressenti.

 

 

Si l’on se place en amont de toute procédure judiciaire, en situation de prévention ou de traitement d’une situation de harcèlement, il incombe donc à l’employeur plus que de la prévention comme l’illustrent les jurisprudences qui suivent.

 

En effet, l’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation et des juridictions du fond confirme la sévérité de cette disposition et de son application. Il a par exemple été jugé qu’il importait peu que l’entreprise (employeur) ne soit pas au courant des faits de harcèlement moral commis par l’un de ses salariés. L’entreprise reste aussi sous le joug de la sanction quand bien même elle aurait licencié le salarié harceleur.

 

Et c’est là tout l’effet du lien entre harcèlement et obligation de sécurité. S’agissant d’une obligation de résultat, peu importe la volonté, l’absence de faute ou l’absence de négligence de l’entreprise, sa responsabilité est engagée (par exemple : Cass. Soc., 21 juin 2006, n° 05-43914).

On retrouve ici l’application de la distinction civiliste obligation de moyen / obligation de résultat… qui fait toute la différence puisqu’en cas d’obligation de résultat, le seul constat d’une situation de harcèlement engage la responsabilité.

 

Cette automaticité de la sanction a par la suite été confirmée par plusieurs arrêts précisant que l’employeur manque à son obligation (et donc engage sa responsabilité) même si, après avoir découvert la situation de harcèlement, il a tenté de prendre les mesures qu’il pensait adéquates :

 

-        3 février 2010 : « l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Cass. Soc., 3 février 2010, n° 08-44019)

 

-        11 mars 2015 : « l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements » (Cass. Soc., 11 mars 2015, n° 13-18603)

 

 

L’arrêt du 11 mars 2015 ci-dessus est doublement intéressant puisque après avoir rappelé ce principe désormais bien établi en matière de harcèlement, il précise également que les juges devaient en l’espèce (compte tenu des demandes formées par le salarié) apprécier « si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail ».

 

Ce qui nous permet de rappeler que deux questions, et potentiellement deux indemnisations, doivent être distinguées en cas de contentieux :

 

  1. L’interdiction de tout harcèlement et l’obligation de sécurité de résultat qui engagent nécessairement la responsabilité de l’entreprise et appellent donc une indemnisation spécifique ;
  2. La question de la rupture subséquente du contrat de travail à l’initiative du salarié qui, si elle est légitime, ouvre droit à une seconde indemnisation (indemnités de rupture, dommages et intérêts pour licenciement nul).

 

 

La vigilance de l’employeur, c’est donc le passé. Ce qui semble désormais lui incomber c’est une veille constante et une anticipation des situations potentielles de harcèlement.

 

On rappellera d’ailleurs, pour terminer, le régime spécifique de la charge de la preuve applicable en matière de harcèlement (Article L 1154-1 du Code du travail) qui, en cas de contentieux, impose là encore à l’employeur une démarche proactive. Cet article dispose en effet que :

« […] le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles »

 

Avant tout contentieux, comme en cas de litige, l’enjeu est dès lors extrêmement important.

 

 

Sylvain FLICOTEAUX

Avocat au Barreau de LYON

 
Maitre Sylvain Flicoteaux

Maitre Sylvain Flicoteaux

Maître Sylvain FLICOTEAUX intervient en tant que formateur à l’École des Avocats de la région Rhône-Alpes, et dispense des cours de droit du travail et de droit des contrats à l’université Lyon 1 et à l’université Lyon 3 (I.U.T.).

Maître Sylvain FLICOTEAUX est également investi au sein de l’Ordre des avocats du Barreau de Lyon et a été membre des représentants du Jeune Barreau (2012-2014).