Que dit le droit du travail en période de canicule ?

mardi, 18 juillet 2017

Que dit le droit du travail en période de canicule ?

Début juillet 2017, Maître BUFFIN-CHAMPIN et Maître FLICOTEAUX ont répondu aux questions de l’hebdomadaire la TRIBUNE DE LYON, concernant les droits et obligations des salariés et employeurs en période de fortes chaleurs.

 

La TRIBUNE DE LYON (LTDL) : Que dit le Code du travail ?

Cabinet DELMAS FLICOTEAUX (DF) : A la différence de l’exposition au froid, le Code du travail ne contient pas de règlementation spécifique à l’exposition des travailleurs à la chaleur. Il n’existe notamment aucune indication de température maximale d’exposition.

En la matière, il convient donc de se référer aux dispositions générales du Code du Travail, à savoir les articles L 4121-1 et suivants du Code du travail, qui édictent les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques et de protection de la santé et sécurité de ses salariés. Cette obligation passe notamment par des mesures d’information et de formation des travailleurs, et d’adaptation des conditions de travail aux changements de circonstances, par exemple les variations climatiques.

A ces principes généraux, viennent s’ajouter des dispositions règlementaires spécifiques, relatives notamment à la ventilation des locaux (Art. R 4222-1), à la mise à disposition d’eau fraiche et potable à proximité des postes de travail ou à la distribution de boissons non alcoolisées lors de circonstances de travail particulières (Art. R 4225-2 et suivants), ou encore à l’aménagement des postes de travail extérieurs (Art. R 4225-1). Ces obligations particulières, applicables également en dehors de fortes chaleurs, permettent d’anticiper les risques liés aux fortes chaleurs. Des mesures préventives particulières existent également dans le secteur du bâtiment et travaux publics.

 

TDL : L'employeur a-t-il des obligations ?

DF : Conformément aux textes évoqués ci-dessus, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses travailleurs et protéger leur santé physique et mentale. Dans cette optique, l’article R 4121-1 du Code du travail impose de procéder à une évaluation des risques liés aux « ambiances thermiques » et à la définition consécutive d’actions de prévention dans le document unique (DUER).

En parallèle de ces dispositions et du Plan National Canicule mis en œuvre fin mai 2017, il n’y a pas d’obligation légale spécifique liée aux vagues de chaleurs. Cela étant, le Haut conseil de la santé publique formule des recommandations sanitaires à destination des employeurs et de leurs salariés.

Il est ainsi notamment conseillé aux employeurs :

  • De surveiller la température ambiante des lieux de travail et la ventilation des locaux ;

  • D’adapter l’organisation du travail et le fonctionnement de l’entreprise, en mobilisant le cas échéant les services de santé au travail :

    • réduction des cadences, allègement des manutentions manuelles, adaptation des horaires ou des rythmes de travail,

    • organisation de pauses supplémentaires ou plus longues aux heures les plus chaudes, si possible dans des espaces plus frais (aires climatisées, zones d’ombre, etc.),

    • adaptations techniques permettant de limiter les effets de la chaleur (stores, volets, films antisolaires, aides mécaniques à la manutention, etc.),

    • mise à disposition des moyens utiles de protection (ventilateurs, brumisateurs d’eau, etc.) et validation de la compatibilité du port des protections individuelles avec de fortes chaleurs,

  • D’informer, de sensibiliser et de former les salariés, en lien avec leurs représentants (Délégués du personnel, CHSCT) et la Médecine du travail, sur :

    • les risques et les moyens de prévention,

    • les signes et symptômes du coup de chaleur, et les gestes de premier secours,

    • l’importance d’une surveillance mutuelle pour déceler les signes de coup de chaleur ou de déshydratation grave et les signaler à l’employeur.

Il existe d’ailleurs des documents d’information et de prévention (brochures, affiches, dépliants, etc.) mis en ligne sur les sites de l’INRS, de l’INPES, de l'ANACT et de l'OPPBTP.

En somme, il s’agit de mesure très pratiques liées à la prévention du coup de chaleur et à l’adaptation des conditions de travail.

 

TDL : Quels risques pour l'employeur inactif ?

DF : D’une manière générale, l’inobservation par l’employeur de son obligation de prévention et de sécurité des travailleurs l’expose à une action en indemnisation de la part des salariés qui en subiraient un préjudice. Ce risque est tout particulièrement accru en cas de survenance d’un accident du travail. La responsabilité de l’employeur peut en effet dans un tel cas être engagée sur le terrain de la faute inexcusable.

Les dispositions du Code du travail en matière d’hygiène et de sécurité sont en outre pour la plus part passibles de sanctions pénales, par exemple le fait de ne pas transcrire ou de ne pas mettre à jour les résultats de l'évaluation des risques dans le document unique (DUER).

Mais il s’agit là des sanctions des obligations générales de l’employeur, qui ne sont pas spécifiquement liées à la canicule. Il faut en outre que le salarié démontre avoir subi un préjudice lié à une absence de mesures rendues nécessaires par la vague de chaleur, sur son poste de travail. C’est donc une appréciation très pratique.

En la matière, le Plan National Canicule 2017 rappelle en outre le rôle important des services d’inspection du travail, qui sont appelés à une vigilance accrue, tout particulièrement dans les secteurs d’activité les plus concernés par les risques liés aux fortes chaleurs (bâtiment, restauration, pressing, etc.).

 

TDL : Le salarié dispose-t-il de droits ?

DF : En premier lieu, et parallèlement à l’obligation de sécurité de l’employeur, les salariés sont également tenus de veiller de leur côté à leur propre sécurité et à celle des tiers qu’ils côtoient. A cet égard, le Haut conseil de la santé publique formule à leur égard un certain nombre de recommandations sanitaires, tels qu’éliminer toute source additionnelle de chaleur (éteindre le matériel électrique en veille, etc.), boire au minimum l’équivalent d’un verre d’eau toutes les 15-20 minutes, faire des repas légers et fractionnés, porter des vêtements légers, amples, de couleur claire si le travail est à l’extérieur, et permettant l’évaporation de la sueur, ou encore adapter leur rythme de travail et organiser leur charge de travail selon des cycles courts.

Il est toutefois à noter que les salariés ne doivent pas pour autant s’affranchir des consignes et instructions qui leur sont données par leur employeur, et tout particulièrement des consignes de sécurité. La chaleur n’exonère pas non plus les salariés de l’obligation de venir travailler en tenue correcte, et, le cas échéant, du port de leur uniforme de travail. 

Cependant, le salarié qui disposerait d’un motif raisonnable de penser qu’il se trouve dans une situation de travail présentant « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », du fait notamment de l’inexistence ou de l’insuffisance des mesures de protection, pourrait être fondé à exercer son droit de retrait. Celui-ci consiste à arrêter temporairement le travail, pour se retirer d’une situation de danger, en en alertant immédiatement en parallèle l’employeur, et ce afin qu’il prenne les mesures utiles à faire cesser le risque. Si aucune sanction ne peut être prise à l’encontre d’un salarié ayant légitimement exercé ce droit, de même qu’aucune retenue sur sa rémunération, l’exercice du droit de retrait doit tout de même être manié avec précaution par les salariés. Il est en effet par principe réservé à des situations exceptionnelles et nécessitant une réponse urgente. Une situation de canicule ne constitue pas en elle-même une situation de recours automatique et légitime au droit de retrait. Le salarié qui exercerait abusivement ce droit pourrait donc s’exposer à une sanction disciplinaire, ainsi qu’à une retenue sur son salaire, proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. L’anticipation et l’échange directs et préalables avec l’employeur nous semblent donc d’une manière générale à privilégier.

 

TDL : A partir de quelle température devient-il dangereux de travailler ?

DF : Comme indiqué plus haut, la loi ne fixe pas de température maximale d’exposition.

Selon l’INRS, la chaleur peut présenter un danger pour le salarié au-delà de 30° C pour une activité sédentaire et 28° C pour un travail nécessitant une activité physique. La température de 30° C est également retenue comme valeur de référence pour l’exposition des travailleurs à des facteurs de pénibilité (« températures extrêmes ») dans le cadre de la déclaration annuelle d’exposition des salariés à des facteurs de risques professionnels. Dans conditions habituelles de travail exposant à cette température sont donc analysées comme un facteur de pénibilité pour les salariés.

La CNAM recommande de son côté d’organiser une évacuation des locaux de travail lorsque la température intérieure atteint ou dépasse 34 °C, en cas de défaut prolongé du renouvellement de l’air.

Ces données sont donc des éléments indicatifs à prendre en compte. Cela étant, chaque entreprise doit apprécier ses situations de travail et prendre les mesures adaptées en fonction des conditions et de la nature concrète des activités exercées par ses salariés. En cas de contentieux, les situations individuelles des salariés et les éventuels manquements de l’employeur sont appréciées au cas par cas par les juridictions au regard des situations concrètes de travail.

 

Interview publiée dans La TRIBUNE DE LYON n° 605 du 13 juillet 2017
Cabinet Delmas Flicoteaux

Cabinet Delmas Flicoteaux

Fort d’une pratique importante en droit social (conseil et contentieux) et en droit commercial, et de sa connaissance des juridictions compétentes en pareilles matières, le Cabinet DELMAS FLICOTEAUX AVOCATS met à votre disposition cette expérience pour rédiger vos actes, adopter la stratégie la plus appropriée à votre problématique, avant tout conflit, pour anticiper les risques, mais également dans le cadre des procédures judiciaires pour vous assister et vous représenter.