LE REGIME PROBATOIRE DES HEURES SUPPLEMENTAIRES
Les litiges relatifs à l’existence et au nombre d’heures de travail accomplies répondent aux règle de preuve instaurées par l’article L. 3171-4 du Code du travail qui établit, un régime de preuve partagée entre l’employeur et le salarié des heures de travail effectuées : « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime. »
Tirant les conclusions de ces dispositions, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge que la preuve des heures de travail effectuées « n’incombe spécialement à aucune des parties » (Cass. Soc., 23 novembre 2017, n° 16-21.749). Chacune des parties doit alors apporter au juge des éléments lui permettant de trancher les litiges qui y sont relatifs.
En pratique, ce régime est donc favorable au salarié, puisqu’il exclut l’application des règles de droit commun selon lesquelles il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation d’en apporter la preuve.
Toutefois, et en application d’une jurisprudence jusqu’alors bien établie, le rôle initial du salarié demeurait fondamental dans cette démarche probatoire, puisqu’il lui appartenait de fournir préalablement au juge des éléments de nature à « étayer sa demande ». (Cass. Soc., 25 février 2004, n°01-45.441). Ce n’était donc que dans un second temps seulement, et si le salarié rapportait des éléments suffisamment précis et probants, que la charge de la preuve était reportée sur l’employeur quant aux horaires effectivement réalisés.
Sur ces fondements, la Cour de cassation a ainsi rendu de nombreuses décisions acceptant ou refusant que tel ou tel élément de fait suffise à étayer la demande du salarié et, ainsi, à exiger que l’employeur produise des éléments de nature à justifier les horaires de travail effectivement réalisés.
Ainsi, des relevés de temps quotidiens, des décomptes d’heures établis par le salarié ou encore des billets de trains peuvent suffire à exiger que l’employeur se justifie. A l’inverse, des relevés sans précision sur les jours et les horaires réalisés ou les copies d’agendas non corroborées par des éléments extérieurs sont insuffisants.
Plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation semblent néanmoins faire évoluer ce régime de la preuve des heures de travail réalisées, en renforçant le rôle de l’employeur dans la démarche probatoire (Cass. Soc., 18 mars 2020, n°18-10.919 ; Cass. Soc., 8 juillet 2020, n°18-28.235).
Dans les faits de l’espèce, un salarié saisit le juge prud’homal d’une demande de paiement d’heures supplémentaires. A l’appui de sa demande, il verse un décompte d’horaires. Devant le Cour d’appel, le salarié fournit un nouveau décompte d’horaires, différent du premier. La Cour d’appel, qui constate l’incohérence entre les deux décomptes, juge que les éléments produits ne sont pas suffisamment précis pour étayer la demande du salarié.
Reprochant à la Cour d’appel d’avoir porté son analyse sur les seules pièces produites par le salarié, à l’exclusion de celles produites par l’employeur, la Cour de cassation censure sa décision.
La Haute juridiction énonce qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
La Chambre sociale abandonne ainsi la notion « d’étaiement ».
Par ce changement de vocabulaire, la Cour de cassation entend sanctionner les décisions des juges du fond qui, sous couvert de la notion d’étaiement, faisaient en réalité peser l’intégralité de la charge de la preuve sur le demandeur, et marque ainsi son souhait d’une meilleure prise en compte par les juges du fond des éléments de preuve fournis par l’employeur, rappelant par la même occasion son obligation de comptabilisation des heures de travail.
Bien qu’elle maintienne un régime probatoire en deux temps (le salarié présente des faits, ce qui permet à l’employeur de justifier des horaires), la Haute juridiction alourdit donc sensiblement la charge de la preuve supportée par l’employeur et remet au centre des débats la nécessité d’apporter une attention particulière au contrôle du temps de travail des salariés.