LA TENUE D’UN ENTRETIEN PREALABLE DE LICENCIEMENT A DISTANCE, VIA UNE TELECONFENCE, NE CONSTITUE PAS NECESSAIREMENT UNE IRREGULARITE DE PROCEDURE

vendredi, 04 décembre 2020

LA TENUE D’UN ENTRETIEN PREALABLE DE LICENCIEMENT A DISTANCE, VIA UNE TELECONFENCE, NE CONSTITUE PAS NECESSAIREMENT UNE IRREGULARITE DE PROCEDURE

 

 Dans un arrêt du 4 juin 2020, la Cour d’Appel de VERSAILLES s’est prononcée sur la régularité de la procédure de licenciement lorsque l’entretien préalable ne s’est pas tenu physiquement mais via une téléconférence.

Nul doute, qu’au regard des circonstances actuelles qui ont conduit un certain nombre d’employeurs ou de Mandataires Judiciaires à tenir des entretiens préalables par visioconférence ou téléconférence, cet arrêt alimentera la discussion sur ce point et apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel très contrasté des Juges du fond.

En effet, la Cour de Cassation ne s’est à ce jour pas prononcé sur une interdiction totale et absolue de la tenue d’un tel entretien par visioconférence ou téléconférence.

Elle avait pu juger, dans un arrêt du 14 novembre 1991, qu’une simple conversation téléphonique n’était pas à même de remplacer l’entretien préalable, tel qu’il est prévu par le Code du Travail.

Elle a ensuite précisé, dans un arrêt du 9 mai 2000, puis dans un arrêt du 20 octobre 2009, que l’entretien préalable devait en principe se tenir sur le lieu d’exécution du travail, ou au siège de l’entreprise.

Il s’agit donc d’un principe mais, comme tout principe, la question se posait de savoir s’il pouvait connaître des dérogations permanentes ou exceptionnelles.

Si les conséquences financières de cette interrogation, qui se limitent à priori à une éventuelle indemnité pour irrégularité de procédure, sont la plupart du temps modestes, elles n’en demeurent pas moins particulièrement prégnantes, au regard d’une part de l’évolution des moyens de communication, et d’autre part de l’éclatement de plus en plus fréquent des lieux de travail et des services supports de la société.

Cette question a évidemment connu une actualité nouvelle dans le cadre de la crise sanitaire de cette année.

Or, les Juges du fond ont pu avoir des approches contraires quant à la réponse à apporter à cette question.

Ainsi, la Cour d’Appel de RENNES, dans un arrêt du 11 mai 2016 (n° 14/0883) avait pu admettre le recours à la visioconférence pour la tenue d’un entretien préalable en précisant toutefois qu’un tel recours était admis dès lors que les parties étaient d’accord.

En revanche, la Cour d’Appel de BOURGES, dans un arrêt du 15 novembre 2019, et la Cour d’Appel de GRENOBLE dans un arrêt du 7 janvier 2020, avaient quant à elles refusé purement et simplement de reconnaître la régularité d’une procédure de licenciement si l’entretien est tenu par visioconférence, laissant ainsi penser qu’à leur sens la tenue d’un entretien physique ne peut supporter aucune dérogation.

L’arrêt de la Cour d’Appel de GRENOBLE relevait néanmoins que l’employeur n’était pas en mesure de justifier d’un accord du salarié pour le recours à la visioconférence, laissant la porte ouverte à une éventuelle appréciation différente si les parties en étaient d’accord.

Dans ce contexte très aléatoire, et donc insécurisant pour les employeurs, la Cour d’Appel de VERSAILLES apporte sa pierre à l’édifice et juge, dans un arrêt du 4 juin 2020, que la procédure de licenciement menée à l’égard d’un salarié détaché à DUBAI était régulière quand bien même l’entretien préalable s’était tenu par téléconférence.

Pour la Cour d’Appel de VERSAILLES, s’il est de principe que l’entretien doit se tenir en présence physique des parties, elle relève que les circonstances de l’espèce permettaient le recours à la téléconférence dans la mesure où la salariée était expatriée et localisée à DUBAI alors que ses interlocuteurs étaient en FRANCE.

Au-delà des circonstances particulières justifiant et autorisant le recours à ce procédé, la Cour d’Appel de VERSAILLES précise expressément :

« Ces modalités ne constituent pas une irrégularité de procédure dès lors que les droits de la salariée ont été respectés, que celle-ci a été en mesure de se défendre utilement ».

Ainsi, la Cour d’Appel de VERSAILLES nous parait adopter une approche pertinente qui redonne à l’entretien préalable tout son rôle : le respect des droits du salarié à l’égard duquel une procédure de licenciement est engagée et la possibilité pour celui-ci, dans le cadre de cette procédure, de faire valoir sa défense.

Or, il parait difficilement concevable, au 21ème siècle, avec les moyens de communication actuels, et le caractère très aguerri d’un certain nombre de salariés à ces moyens, de prétendre que les droits du salarié seraient nécessairement affectés si l’entretien se tient en visioconférence ou par téléconférence.

Il serait au demeurant cocasse que les juridictions de fond et la Cour de Cassation n’admettent aucune dérogation au principe et jugent que l’entretien préalable doit nécessairement se tenir en présence physique des parties, alors même que la justice elle-même a désormais recours à la visioconférence, depuis plusieurs années, dans un certain nombre de contentieux dans lesquels les droits des justiciables sont eux-mêmes en jeu (dans une proportion parfois bien plus importante que celle d’un entretien préalable, notamment en matière pénale).

C’est ainsi une appréciation au cas par cas du respect des droits de la défense qui, d’après la Cour d’Appel de VERSAILLES, doit être effectué, ce qui parait conforme à l’esprit des textes et au rôle de l’entretien préalable.

La Cour d’Appel de VERSAILLES prend d’ailleurs soin de relever dans son arrêt que la salariée en question avait bénéficié d’un entretien qui avait duré plus d’une heure, était assistée lors de cet entretien, et qu’il lui avait été donné la possibilité de s’exprimer au regard du compte-rendu qui avait été dressé de cet entretien.

On ne peut qu’espérer que cette approche juste et équilibrée sera adoptée par les autres Cours d’Appels et par la Cour de Cassation, en tenant compte de critères tels que : statut du salarié, moyens de communication, assistance, lieu dans lequel le salarié se trouve, situation géographique, circonstances sanitaires, etc.

Comme souvent en matière de droit du travail, affaire à suivre…

Cabinet Delmas Flicoteaux

Cabinet Delmas Flicoteaux

Fort d’une pratique importante en droit social (conseil et contentieux) et en droit commercial, et de sa connaissance des juridictions compétentes en pareilles matières, le Cabinet DELMAS FLICOTEAUX AVOCATS met à votre disposition cette expérience pour rédiger vos actes, adopter la stratégie la plus appropriée à votre problématique, avant tout conflit, pour anticiper les risques, mais également dans le cadre des procédures judiciaires pour vous assister et vous représenter.