FACEBOOK ET LE DROIT A LA PREUVE DE L’EMPLOYEUR

vendredi, 04 décembre 2020

FACEBOOK ET LE DROIT A LA PREUVE DE L’EMPLOYEUR

 

Dans un arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation admet pour la première fois que l’employeur peut produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié, si cette production est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée du salarié est proportionnée au but poursuivi. (Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19.12.058)

Dans cette affaire, une salariée exerçant les fonctions de « Chef de projet export » auprès d’une société de prêt à porter, a publié, sur son compte Facebook accessible seulement à ses « amis », une photographie d’une nouvelle collection de mode qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société. Informé de cette publication, l’employeur a licencié l’intéressée pour faute grave, considérant qu’elle avait manqué à son obligation contractuelle de confidentialité, d’autant plus grave que son compte était accessible à des personnes travaillant pour des entreprises concurrentes. La salariée contestait son licenciement en faisant valoir que l’employeur n’était pas autorisé à accéder au contenu privé de son compte Facebook sans y avoir été autorisé.

Le raisonnement de la Cour de cassation est en deux temps.

 

Principe de loyauté dans l’admission de la preuve

D’abord, la Cour de cassation rappelle le principe de la loyauté probatoire en matière prud’homale, l’emploi de stratagèmes et de procédés clandestins pour obtenir des éléments de preuve étant proscrits. Aussi, avait été considérée comme déloyale la production d’informations extraites du compte Facebook d’une salariée obtenues à partir du téléphone portable d’une collègue. (Cass. Soc., 20 décembre 2017, n°16-19.609)

Or, au cas présent, des captures d’écran de la publication litigieuse avait été « spontanément communiquées » à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » au compte privé Facebook de la salariée.

La Cour de cassation juge alors que la preuve a été obtenue sans déloyauté.

Reste que la preuve communiquée porte sur des éléments tirés de la vie privée de la salariée et peut donc, malgré la loyauté de sa production, constituer une atteinte à la vie privée.

 

Conciliation du droit de la preuve et Respect de la vie privée des salariés

La Cour de cassation poursuit son argumentation en s’interrogeant sur le point de savoir si la production de ces informations n’est pas constitutive d’une atteinte à la vie privée de la salariée.

En l’espèce, la Haute juridiction le reconnait, la production par l’employeur d’une copie d’écran d’une page Facebook privée à laquelle il n’était pas autorisé à accéder, constitue bien une atteinte à la vie privée de la salariée. En principe, l’employeur ne devrait donc pas s’en prévaloir comme élément de preuve d’une faute qu’il entendait sanctionner.

Pour autant, des faits tirés de la vie privée peuvent occasionnellement être rattachés à la sphère professionnelle. Ce lien est établi en l’espèce dès lors que la publication des informations confidentielles divulguées par la salariée portent non seulement atteinte aux intérêts de la société, mais constitue également une violation d’une obligation contractuelle, la salariée étant soumise à une clause de confidentialité.

Dès lors, la Chambre sociale, après avoir opéré un contrôle de proportionnalité, considère que « la cour d’appel a fait ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit de la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires. »

La Cour de cassation opère donc une appréciation in concreto de la situation en reconnaissant que la diffusion par une salariée d’informations stratégiques de l’entreprise porte gravement atteinte aux intérêts de cette dernière.

Cette décision marque une évolution certaine dans la position de la Cour de cassation en matière de droit à la preuve.

Plus récemment, poursuivant sa volonté d’élargissement de la preuve légitime, la Cour de cassation a admis la production d’une preuve obtenue selon un procédé illicite car n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration à la Cnil et attentatoire à la vie privée du salarié. (Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523)

Dans cette affaire, un salarié de l’AFP avait été licencié pour faute grave pour avoir adressé des demandes de renseignements par voie électronique en usurpant l’identité de sociétés clientes de son employeur. L’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux avaient été envoyés avait été identifiée comme étant celle dudit salarié. Le salarié contestait son licenciement au motif que l’adresse IP, qui est une donnée à caractère personnel, n’avait pas été déclarée à la Cnil (selon la règlementation alors en vigueur, antérieure au RGPD).

Malgré ce constat, la Cour de cassation admet que l’illicéité d’un tel moyen de preuve n’entraine pas systématiquement son rejet et invite les juges du fond à rechercher, dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, si l’atteinte portée à la vie privée du salarié par la production de cette preuve est justifiée au regard du droit à la preuve, cette production devant être indispensable à l’exercice de ce droit.

La Haute Juridiction marque ainsi une nouvelle étape dans la consécration du droit à la preuve en matière sociale.

Il est possible de s’interroger sur le point de savoir si ces arrêts annoncent des évolutions dans d’autres domaines, notamment concernant les messageries électroniques personnelles utilisées par les salariés, lesquelles restent jusqu’à présent couvertes par le secret des correspondances. (Cass. Soc., 23 octobre 2019, n°17-28.448)

Cabinet Delmas Flicoteaux

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