CONCURRENCE DELOYALE ET PREUVE PAR SMS

jeudi, 19 mars 2015

CONCURRENCE DELOYALE ET PREUVE PAR SMS

Le SMS est un mode de preuve admissible y compris pour la Chambre Commerciale de la Cour de cassation

 

La question n’est pas nouvelle mais elle fait toujours couler beaucoup d’encre.

Depuis plusieurs années déjà, la possibilité d’utiliser un SMS comme mode de preuve par son destinataire était reconnue (Cass. Soc., 23 mai 2007, n° 06-43209).

En effet, les SMS ne se voient pas appliquer le régime réservé à l’enregistrement d’une communication téléphonique privée à l’insu de son auteur ; ce que l’on comprend assez aisément puisque, dans le cas des SMS, les messages sont de manière automatique enregistrés sur le téléphone, ce que leur auteur ne peut pas ignorer….

L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation le 10 février dernier (Cass. Com., 10 février 2015, n°13-14779) redonne de l’actualité à cette question sous un autre angle : l’employeur d’un salarié peut-il utiliser comme moyen de preuve les SMS envoyés ou reçus par celui-ci sur son téléphone professionnel ? Autrement dit, le SMS peut-il être utilisé comme moyen de preuve par un autre que celui qui en était destinataire ?

 

La difficulté résidait dans le juste équilibre à trouver avec deux principes : le principe de loyauté de la preuve et le principe du respect à l’intimité de la vie privée.

Le droit au respect de la vie privée, garantie par l’article 9 du Code civil, implique notamment le secret des correspondances, si bien que l’enregistrement d’une conversation téléphonique effectué à l’insu de son interlocuteur est considéré comme déloyal.

L’usage démultiplié des ordinateurs, d’Internet, des téléphones portables, et des réseaux sociaux a quelque peu changé la donne pour trouver un équilibre dans le respect de ces principes, notamment en matière de droit du travail. Les conséquences sont nombreuses, par exemple pour les « post » diffusés sur Facebook, à tous et parfois même à ceux qui ne sont pas « amis », et autres « followers » sur Twitter ; ou encore en cas de connexions Internet beaucoup trop nombreuses ou peu recommandables.

L’incidence qui sera examinée dans le présent article se limitera toutefois à la possibilité qu’a l’employeur de prendre connaissance et de verser aux débats un SMS échangé par son salarié.

 

Depuis longtemps la Cour de cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme jugent que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de sa vie privée.

La Cour de cassation a cependant aussi précisé (avec constance) que les documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise mis à sa disposition, ou les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’ordinateur mis à sa disposition par son employeur pour les besoins professionnels, sont présumés avoir un caractère professionnel sauf s’ils sont identifiés comme personnel. (Voir notamment Cass. Soc., 18 octobre 2006, Bull. civ. n° 308 ; 21 octobre 2009, Bull. civ. 226)

La conséquence de cette qualification est importante : si les documents ou les fichiers ne sont pas identifiés comme personnels, ils sont présumés professionnels et l’employeur peut en prendre connaissance et y avoir accès même hors la présence du salarié. A l’inverse, s’ils sont marqués comme étant personnels, il n’est possible d’en prendre connaissance qu’en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé, sauf risque ou événement particulier. (Cass. Soc., 17 mai 2005, Bull. civ. 165)

En cas de litige, il est donc fondamental de définir le caractère professionnel ou non des données, pour savoir si l’employeur pouvait en prendre connaissance hors la présence de son salarié (par exemple à l’appui d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement). S’il l’a fait alors que le fichier incriminé était identifié comme personnel, la preuve sera irrecevable avec toutes les conséquences que cela peut impliquer…

La Cour de cassation a également précisé que le même régime s’applique :

  • aux fichiers contenus sur une clef USB connectée à l’ordinateur mis à disposition par l’employeur,
  • aux courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur ;

La Cour de cassation a encore indiqué que les seules initiales ou le titre « Mes documents » sont insuffisants pour identifier les fichiers comme personnels. Attention à la précision donc…

 

Depuis un arrêt du 28 septembre 2011, il faisait peu de doute que, dans l’esprit de la Chambre sociale de la Cour de cassation, ce régime s’appliquait également aux SMS. (Cass. Soc., 28 septembre 2011, n° 10-16995)

Or, c’est précisément la question qui était posée à la Chambre commerciale, avec cette particularité qu’elle se posait à l’occasion d’un procès en concurrence déloyale entre deux sociétés.

La première reprochait à la seconde des actes de concurrence déloyale pour avoir débauché « un grand nombre de ses salariés » et avoir ainsi désorganisé son activité. Elle avait donc sollicité, avant tout procès et de manière non contradictoire, l’autorisation de faire constater par Huissier de justice les faits reprochés dans les locaux de sa concurrente et sur les outils informatiques mis à la disposition de ses anciens salariés.

C’est manifestement dans l’historique des SMS envoyés ou reçus grâces aux téléphones professionnels des anciens salariés que des preuves ont été trouvées.

Et afin de savoir si la production de ces SMS constituait un mode de preuve acceptable, la Chambre commerciale s’aligne sur la position de la Chambre sociale, en jugeant que :

« Les messages écrits ("short message service" ou SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels »

 

La Chambre commerciale en tire comme conséquence logique que ces SMS présumés professionnels constituaient un mode de preuve loyale et qu’ils pouvaient faire l’objet de recherche pour des motifs légitimes.

Attention toutefois à ne pas se méprendre sur les contours de cette décision : 

  • Cette jurisprudence concerne les messages émis ou reçus avec l’outil de communication mis à la disposition du salarié par son employeur pour les besoins professionnels ; 
  • Il s’agissait des messages stockés sur les téléphones (ou le serveur en l’espèce) de la société qui se plaignait des faits de concurrence déloyale.

On ne sera jamais assez trop vigilant sur les effets secondaires et les méandres du développement des moyens de communication…

 

Sylvain FLICOTEAUX

Avocat au Barreau de LYON

Maitre Sylvain Flicoteaux

Maitre Sylvain Flicoteaux

Maître Sylvain FLICOTEAUX intervient en tant que formateur à l’École des Avocats de la région Rhône-Alpes, et dispense des cours de droit du travail et de droit des contrats à l’université Lyon 1 et à l’université Lyon 3 (I.U.T.).

Maître Sylvain FLICOTEAUX est également investi au sein de l’Ordre des avocats du Barreau de Lyon et a été membre des représentants du Jeune Barreau (2012-2014).