Préjudice né de la perte d’emploi et compétence prud’homale

jeudi, 09 avril 2015
 

Préjudice né de la perte d’emploi et compétence prud’homale

 

Le Conseil de prud’hommes reste compétent pour statuer sur la réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi par le salarié, ensuite de son licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident professionnel jugé imputable à une faute inexcusable.

 

 

On le sait, le Tribunal des affaires de Sécurité sociale est de plus en plus sollicité. La montée en puissance de cette juridiction est à l’heure actuelle en grande partie due aux contentieux portant sur :

-        l’origine professionnelle ou non des accidents et maladies subis par le salariés, et par voie de conséquence l’incidence que cela peut avoir non seulement sur les cotisations AT/MP de l’employeur, mais également sur les règles applicables dans les relations individuelles par exemple en cas d’inaptitude ;

-        la faute inexcusable de l’employeur qui est de plus souvent invoquée comme étant à l’origine de la maladie ou de l’accident.

 

On ne s’attardera pas ici sur la définition de la faute inexcusable, ni sur l’utilité qu’il peut y avoir à être assisté très en amont de tout litige, et de tout licenciement, pour prévenir les risques et les conséquences (financièrement très couteuses) de tels contentieux, qui se révèlent souvent très techniques.

L’objet de la présente analyse réside en revanche dans une curiosité de procédure : le point de frottement entre la compétence du Tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) et la compétence du Conseil de prud’hommes.

 

 

Rappelons en effet que le Conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître des litiges « qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail » et notamment à l’occasion de sa rupture (Article L 1411-1 du Code du travail).

Le TASS est quant à lui exclusivement compétent pour connaître notamment des contentieux relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (dit le contentieux général de la Sécurité sociale : Article L 142-1 du Code de la Sécurité sociale), et statuer sur l’existence et les conséquences d’une faute inexcusable invoquée à l’encontre de l’employeur (Article L 452-4 du même code).

Au regard de cette distinction, en apparence claire, le TASS devrait être le seul compétent en cas de litige concernant la réparation des préjudices découlant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, et a fortiori d’une faute inexcusable, y compris lorsque suite à cet accident ou à cette maladie le salarié est licencié pour inaptitude.

 

 

La Cour de cassation avait toutefois jugé que le Conseil de prud’hommes restait compétent pour statuer sur le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi par le salarié, ensuite de son licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident professionnel qui a été jugé imputable à une faute inexcusable de l’employeur. (Cass. Soc., 17 mai 2006, n° 04-47455 ; 14 mai 2010, n° 09-40357)

La Chambre sociale avait adopté exactement la même position s’agissant du préjudice né de la perte des droits à la retraite en raison de la rupture du contrat suite à un accident ou une maladie résultant de la faute inexcusable de l’employeur. (Cass. Soc., 26 octobre 2011, n° 10-20991)

 

En cas d’accident ou de maladie d’origine professionnelle consécutif à une faute inexcusable, il semblait donc que la compétence de l’une ou l’autre des juridictions soit fonction du préjudice invoqué :

-        le droit à réparation des conséquences « stricto sensu » de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail dû à la faute inexcusable relevait de la compétence exclusive du TASS

-        le droit à réparation du salarié licencié du fait de l’inaptitude relevait lui du Conseil de prud’hommes.

 

Le tout en précisant que la qualification de faute inexcusable n’appartient bien sûr qu’au TASS qui doit donc être préalablement saisi de cette question ….

 

 

Cet îlot de compétence réservé  au Conseil de prud’hommes, au sein du contentieux plus général de la faute inexcusable, semblait initialement motivé par le fait que l’indemnisation des préjudices consécutifs à une telle faute était strictement limitée par le Code de la Sécurité sociale (Article L 452-3). Cette limitation pouvait donc laisser des postes de préjudice sans indemnisation.

Or, il se trouve que suite à la QPC du 18 juin 2010, la Cour de cassation a admis que le salarié victime d’une faute inexcusable pouvait solliciter devant le TASS non seulement les préjudices limitativement énumérés par le Code de la Sécurité sociale, mais également tous les préjudices non couverts par le Livre IV de ce même Code. (Cass. Soc., 30 juin 2011, n° 10-19475)

On pouvait donc légitimement s’interroger sur un regroupement de l’ensemble du droit à réparation devant cette juridiction, pour mettre fin au « morcellement » qui résultait de la distinction ci-dessus.

 

Il ne semble pas que ce soit le chemin pris par la Cour de cassation.

 

 

L’analyse des arrêts rendus après cette décision laisse en effet imaginer (ce sera à confirmer) qu’une dichotomie plus subtile est venue remplacer la précédente :

  1. La Chambre sociale est venue préciser que      l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail relève de      la compétence exclusive du TASS qu’il soit ou non la conséquence d’un      manquement à l’obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc., 29 mai      2013, n° 11-20074).
  1. Parallèlement, la Chambre sociale a      maintenu la position selon laquelle le Conseil de prud’hommes est seul      compétent pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice      consécutif au licenciement (Cass. Soc., 26 janvier 2011, n° 09-41342).      Position qu’elle a confirmée dans un arrêt (certes non publié) du mois de      septembre dernier, précisément au sujet du préjudice résultant de la perte      d’emploi due à l’inaptitude du salarié victime d’une faute inexcusable      (Cass. Soc. 23 septembre 2014, n° 13-17212).

 

Ce qu’il faut retenir, selon nous, c’est une distinction fondée sur le lien de causalité :

-        les préjudices nés de la maladie ou de l’accident du travail relèvent du TASS

-        Les préjudices nés de la rupture du contrat de travail relèvent du Conseil de prud’hommes.

 

En d’autres termes, c’est le lien de causalité entre d’un côté le préjudice (perte d’emploi) et de l’autre la maladie/l’accident ou la rupture du contrat suite à inaptitude (dont la régularité sur le fond et sur la forme peut être contestée) qui déterminera la juridiction compétente pour indemniser le préjudice invoqué.

La perte d’emploi doit en conséquence être bien distinguée de la réparation de la faute inexcusable… La Cour de cassation y semble d’ailleurs fort vigilante puisque par exemple, à deux reprises en 2013, elle a jugé que « sous couvert de l'indemnisation de la perte de son emploi, le salarié demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l'accident du travail, relevant de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale » (Cass. Soc., 9 octobre 2013, n° 12-11777 ; 11 décembre 2013, n° 12-19408).

 

 

Rappelons pour terminer (et pour simplifier encore un peu plus la situation) que, même en l’absence de faute inexcusable, le licenciement peut être contesté devant le Conseil de prud’hommes s’il résulte – selon cette juridiction – d’un manquement à l’obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc., 29 mai 2013, n° 12-18485). Pas de problème de compétence ici, le Conseil de prud’hommes sera compétent en l’absence de contentieux sur l’origine professionnelle de l’accident ou la maladie, et/ou de contentieux sur la faute inexcusable invoquée à l’encontre de l’employeur

Il est peut-être temps qu’un bloc de compétence exclusif soit dégagé au profit de l’une des deux juridictions, voire même d’envisager un regroupement de ces deux juridictions au sein d’une juridiction sociale unique.

En attendant, l’articulation entre indemnisation des préjudices et juridiction compétente n’est pas chose aisée. Prudence et précision s’impose donc…

 

Sylvain FLICOTEAUX

Avocat au Barreau de LYON

Maitre Sylvain Flicoteaux

Maitre Sylvain Flicoteaux

Maître Sylvain FLICOTEAUX intervient en tant que formateur à l’École des Avocats de la région Rhône-Alpes, et dispense des cours de droit du travail et de droit des contrats à l’université Lyon 1 et à l’université Lyon 3 (I.U.T.).

Maître Sylvain FLICOTEAUX est également investi au sein de l’Ordre des avocats du Barreau de Lyon et a été membre des représentants du Jeune Barreau (2012-2014).